Oenologie : Domaine de Saumarez Juin 2025
De la cafétéria à l’exploitation viticole
Le pari audacieux d’un couple franco-britannique tombé amoureux du Languedoc
Une rencontre, un rêve, un domaine
C’est dans un univers à mille lieues des vignes — celui de la finance londonienne — que tout a commencé. Liz, originaire de Nouvelle-Zélande, et Robin, natif de Guernesey, travaillaient tous deux dans une grande entreprise de la City. Un jour, à la cafétéria, ils se découvrent une passion commune pour le vin, notamment français. Entre deux conversations, une idée folle germe : quitter le monde des affaires, changer de vie, et créer leur propre domaine viticole.
Quelques années plus tard, après une formation en œnologie et viticulture, ils s’installent dans le Sud de la France, près de Montpellier, à Murviel-lès-Montpellier, le 30e projet visité dans le Languedoc. Le Domaine de Saumarez est né en 2004, dans un écrin de garrigue, de collines et de vents marins. Très vite, ils orientent leur travail vers une viticulture biologique, respectueuse des sols et du vivant, fidèle à leur éthique et à leur vision du vin.
Pourquoi « Saumarez » ?
Le nom du domaine n’est pas anodin. Il s’inspire certainement du nom “Saumarez”, issu de la noblesse de Guernesey, un clin d’œil aux origines de Robin. Mais on doit y avoir aussi une évocation plus sensorielle : le “S” initial pourrait faire référence à “salin”, cette touche minérale et iodée que l’on retrouve dans plusieurs cuvées du domaine. Une signature que l’on attribue au sol aalénien.
Vous avez dit « Aalénien » ?
L’Aalénien est une époque du Jurassique inférieur, datant d’environ 174 millions d’années. Ces couches géologiques, riches en calcaires et oxydes de fer, offrent un sol idéal pour la vigne : bien drainé, minéralisé, et capable de créer un stress hydrique modéré favorable à la concentration des raisins. On retrouve ce type de sol dans des régions comme la Champagne ou le sud de l’Angleterre, d’où provient justement Robin. Une grosse pierre typique de ce sol avec ses traces blanches accompagne d'ailleurs Robin dans ses voyages sur les foires agricoles !
Un vignoble enraciné dans l’histoire et le vivant
Le Domaine de Saumarez s’étend aujourd’hui sur environ 11 hectares, perchés entre 80 et 150 mètres d’altitude, avec vue sur la Méditerranée. Le terroir est riche d’histoire, vestige du passé gallo-romain de la région.
Les cépages rouges du domaine sont majoritairement la Syrah, le Grenache, le Mourvèdre, mais aussi des variétés plus atypiques comme le Sangiovese toscan, le Malbec ou le Petit Verdot.
Côté blancs, on trouve du Grenache blanc, de la Marsanne, du Chardonnay, de la Roussanne, et de plus récents essais avec des cépages rares en France comme l’Assyrtiko grec ou le Fiano des Pouilles en Italie.
Certifié bio depuis 2009, le domaine bannit désherbants, insecticides et fongicides chimiques. La biodiversité est encouragée avec l’implantation de haies, la pose de nichoirs et des couverts végétaux.
Zoom : Surgreffage éclair de grenache blanc sur souche de grenache rouge
Le blanc se vend aujourd'hui beaucoup plus que le rosé ou même le rouge. Plutôt que d’arracher leur grenache rouge, Liz et Robin ont choisi une méthode innovante : couper la souche et faire appel à une entreprise française spécialisée pour y greffer du grenache blanc. Cette entreprise emploie une équipe sud-américaine, notamment bolivienne — Au Chili et Argentine ce type de greffage en terrain est courant. Le taux de reprise atteint entre 98 et 99%, sous la supervision d’un greffeur pour chaque parcelle, suivi d’un contrôle qualité rigoureux.
Pourquoi cette méthode est-elle remarquable ?
1. Rapidité : on obtient une nouvelle récolte dès l’année suivant la greffe, contre 3 à 5 ans pour une replantation traditionnelle.
2. Préservation du système racinaire : la souche américaine (résistante au phylloxéra) reste intacte, garantissant une vigne robuste.
3. Economie et écologie : on évite la replantation, les coûteux travaux de terrassement, et on conserve les palissages installés
4. Technique de précision : stimulation du cambium, ligature, masticage — chaque étape suit les standards de greffage en champ comme les méthodes T bud ou chip bud, maîtrisées par la société Worldwide Vineyards
Une pratique marginale en viticulture
Le greffage n’est pas très répandu dans les vignobles français, alors qu’elle est très courante pour les fruitiers : on privilégie par habitude la plantation de nouvelles vignes en remplacement de celles vieillies moins productives, ou par sentimentalisme en refusant de couper des plants encore jeunes que l'on a vu croître. Or, le surgreffage ouvre la voie à une plus grande flexibilité, rapide adaptation aux goûts du marché, et préservation des racines établies.
Exemple concret à Saumarez
Sur une parcelle convertie, on observe aujourd’hui un cep hybride : sa souche américaine, son vieux porte-greffe de grenache rouge, puis un greffon de grenache blanc, déjà vivant et vigoureux 10 mois après l’opération — prêt à produire dès la vendange suivante.
Méthodes de vinification
• Rouges : macération en cuves béton, remontages doux, pressurage séparé, élevage en inox ou en barrique selon les lots.
• Blancs : vendanges manuelles tôt le matin, pressurage en grappes entières, fermentation à basse température, élevage en cuves ou vielles barriques qui ne donnent pas de gout de bois mais permettent une bonne aération (350 à 500 L).
Des cuvées expressives et équilibrées
Le domaine produit une gamme cohérente, avec un excellent rapport qualité/prix et une belle expression du terroir :
• S’ Blanc (Blanc) : Grenache blanc, Marsanne, Roussanne – floral, frais, un peu de salinité où l’on retrouve le terroir calcite mis en valeur
• Fleur de Liz (Rosé) : Léger, friand, parfait pour l’été,
• S de Saumarez (Rouge) : Grenache noir, Syrah - Accessible, fruité, très agréable en bouche
• Trinitas (Rouge – Grés de Montpellier) : Syrah, Grenache, Mourvèdre – intense, gourmand, fruits noirs, tanins veloutés
• Syrah : une série limitée en pur Syrah, légèrement boisé, équilibré entre finesse et complexité
La production est écoulée sur le marché des particuliers (25 à 30%) au travers des foires et des visites au domaine, des professionnels cavistes (50%) et à l’export (20 à 25%) principalement vers le Bénélux, l'Allemagne et … Guernesey !
Evolution
Le domaine s’ouvre largement à l’œnotourisme, avec un nouveau caveau inauguré en 2023, où chaque mois une exposition d’un artiste local est proposée, des animations avec les associations locales de Saint Georges ou Murviel, enfin une terrasse avec une belle vue dégagée jusqu’à la mer, dont nous profiterons pour un joyeux piquenique partagé en bénéficiant d’une légère brise bienvenue par ce temps ensoleillé.
Robin nous livre encore quelques anecdotes et partage sa passion d’un métier multiple (les 3 V : viticulteur, vigneron et vendeur) physique et prenant (parfois des semaines de 75 heures) mais quand on aime... Il nous parle des normes françaises, par exemple pour l’appellation Grès de Montpellier : on aime les normes dans notre beau pays ! Au point de sacrifier le marché et son goût changeant à des critères qui ont eu leur utilité mais qui peuvent devenir un frein face à la concurrence ou les aléas climatiques.
Et puis avec la vue sur la tour Jacques Vabre (maintenant Carte Noire, rachetée par Lavazza) dont la torréfaction peut laisser un peu d’odeur sur les raisins des vignes environnantes, nous terminerons nous aussi cette belle rencontre autour d’un café !
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